Le Roumain, réveille-toi !
J’ai eu le grand privilège de rencontrer Anca Dumitrescu, une femme “très au-dessus de qui que ce soit d’autre” par son intelligence et son humanité.
Voici ci-dessous un petit texte sur la Roumanie, une manière de souligner ce lien indéfectible qu’elle entretient avec son pays de naissance . Je te remercie très sincèrement de cette interview Anca et j’espère pouvoir te retrouver très vite à Paris!
“L’hymne national roumain commence par cette instigation envers le Roumain de se réveiller de son sommeil mortel. Je me réfère à ce texte que je n’apprécie pas particulièrement, car je crois que ce premier vers correspond à merveille à la situation actuelle des Roumains et de leur patrie.
La Roumanie est un pays très jeune, car elle n’a que 100 ans dans ses frontières actuelles et un peu plus de 150 ans depuis sa création (sous le nom de Principautés unies). Comme suite à diverses guerres où les Roumains se sont trouvés du bon côté de la barrière, le petit Etat issu de l’unification de la Valachie et de la Moldavie, c’est agrandi en obtenant la Dobroudja et — à la fin de la Grande Guerre — la Transylvanie, une des plus riches régions de l’ancien Royaume de Hongrie.
Durant l’entre-deux-guerres, la Roumanie s’est beaucoup développée du point de vue économique grâce à ses énormes riches du sol (agriculture) et du sous-sol (pétrole, charbon, sel, etc.), mais aussi à travers de son industrie.
Tout en étant des travailleurs endurcis, après des siècles de suzeraineté ottomane, les Roumains ont eu des habitudes « orientales », des pratiques correspondant à une certaine corruption, mais la génération de ceux qui étaient jeunes à la fin de la Grande Guerre a été une génération de gens honnêtes et désireux de contribuer au développement rapide de leur pays. Malheureusement, durant la Deuxième Guerre mondiale, la Roumanie fut du mauvais bord (alliée de l’Allemagne) et — surtout — elle se trouvait du mauvais côté de l’Europe, cette partie laissée sous la « protection » de Staline.
Le régime communiste a détruit tout : la société, l’économie, l’enseignement, etc. Dans les années ’60, un communisme de style nationaliste a vu le jour. Les difficultés économiques et politiques étaient « compensées » par la « fierté d’être Roumain ». L’arrivée au pouvoir de Nicolae Ceauşescu a vite remplacé la dictature « populaire » (communisme classique) par une dictature personnelle, qui a abouti le travail de destruction tant économique, que culturelle. Depuis trente ans, on prétend reconstruire la Roumanie.
Malheureusement, les habitudes ottomanes ont été réapprises durant l’époque communiste et développées au point de faire de la corruption la colonne vertébrale de la société roumaine. Des gens qui devaient rendre des services et payer des dessous de table pour se nourrir et pour soigner leur santé durant plus de cinquante ans, ont continué le même système après la chute officielle du communisme. La triste réalité de la Roumanie d’aujourd’hui est que de nombreuses personnes non qualifiées, mais aussi des diplômés, quittent le pays qui est en proie à la corruption. Ceci explique qu’un pays qui bénéficie de grandes richesses (capacités agraires, richesse du sous-sol, objectifs touristiques, etc.) et qui est membre de l’Union Européenne a un niveau de vie très bas.
Comment réveiller les Roumains de leur sommeil mortel ? Le seul espoir sont les jeunes, ceux qui n’ont pas connu la lutte quotidienne de survie, le bakchiche permanent, le « tout peut s’arranger ». Quand ils partent à l’étranger, ils créent des petites entreprises qui fonctionnent bien, ils travaillent dans des entreprises où ils sont appréciés, mais — pour ceux qui désirent rentrer chez eux — en Roumanie ils n’ont pas de lieux de travail de qualité et n’ont aucun soutient pour créer leurs propres entreprises.
Mis à part les grandes entreprises, souvent dans le domaine des technologies de pointe, où les jeunes Roumains peuvent gagner décemment leur vie et avoir un comportement social digne, il est difficile de trouver du travail intéressant. Dans un pays comparable à la France par son potentiel agraire, on trouve dans le commerce des produits venus de pays bien plus pauvres dans ce domaine, mais beaucoup mieux développés (comme la Pologne, par exemple).
Quant à la tradition artisanale, elle a complétement (ou presque) disparu et il est difficile, sinon impossible, de trouver des artisans dans tous les domaines. Valoriser le travail dans le domaine agraire ou artisanal en apprenant aux jeunes comment créer des entreprises dans le domaine, mais en les soutenant aussi pour faire face à la bureaucratie indescriptible que l’on ne peut vaincre que par des méthodes de corruption, produirait un essor économique extraordinaire.
Un pays riche en patrimoine archéologique et architectural, mais aussi avec des paysages, des objectifs naturels d’intérêt touristique et des ressources balnéaires, pourrait — par le même soutien logistique — accroitre son essor économique par le développent du tourisme.
Apprendre les métiers, apprendre comment créer une petite entreprise, soutenir le démarrage de petites affaires en contournant le système corrompu, serait la clef du « réveil » de la Roumanie. Si tous les jeunes (issus des couches sociales et économiques les plus défavorisées, comme — par exemple — les Roms) qui partent à l’étranger effectuer du travail non qualifié pouvaient bénéficier d’une formation et d’un soutient d’entrée sur le marché du travail, le cauchemar des Roumains serait terminé.
On ne peut réveiller les Roumains que par une formation adéquate et par un soutient solide à la création d’entreprises, petites ou moyennes, afin de donner aux jeunes la possibilité d’exploiter les richesses insoupçonnables de leur pays et de faire renaitre l’économie nationale.
Enfin, en collaboration avec les administrations locales, il faut apprendre aux jeunes (et moins jeunes) d’utiliser tous les moyens financiers mis à disposition par l’Union Européenne, car la Roumanie ne dépense pas son potentiel de financement européen…
A l’époque communiste, on citait Lénine qui aurait dit : « Apprendre, apprendre, apprendre… ». C’est probablement ce qui manque le plus aux Roumains endormis.”
Propos recuillis par Laura Petrache.
About Anca Dumitrescu- Doctor and Lecturer in History of Arts
Intercultural, Heritage and arts lover-Project bearer- Professor at Paris IV and Sorbonne University. UNESCO expert -Division of the cultural objects and the immaterial heritage- program Section of museums and cultural objects.
Anca Dumitrescu is a Global Sustainable Leaders’ Network ambassador
More about Anca Dumitrescu on : https://www.linkedin.com/in/anca-dumitrescu-93811642/